- CURIE (LES)
- CURIE (LES)Dans l’histoire de la radioactivité, depuis sa découverte et pendant les soixante années qui suivirent, le nom des Curie s’inscrit au premier plan. Les plus éminents représentants de cette famille de savants français ont été Pierre Curie (1859-1906), sa femme Marie Curie née Sklodowska (1867-1934), leur fille Irène (1897-1956) devenue en 1926 la femme de Frédéric Joliot (1900-1958).Pierre et Marie Curie partagèrent le prix Nobel de physique en 1903 avec Henri Becquerel, et Pierre Curie fut nommé professeur à la Sorbonne. Marie Curie obtint, en 1911, le prix Nobel de chimie.Parmi les savants contemporains, c’est probablement elle qui a été, de son vivant, la personnalité la plus célèbre dans toutes les classes sociales de tous les pays du monde. Elle reçut une vingtaine de distinctions honorifiques du plus haut niveau et fut nommée membre de nombreuses académies étrangères, docteur honoris causa des plus grandes universités, citoyen d’honneur de plusieurs villes.En 1921, aux États-Unis, un groupe de femmes réunit les fonds nécessaires à l’achat d’un gramme de radium et invita Marie Curie pour le lui remettre. Marie Curie, accompagnée de ses deux filles, reçut un accueil triomphal du gouvernement, des grandes sociétés scientifiques et des universités américaines.La découverte de la radioactivité a apporté d’immenses moyens d’étude de la constitution de l’atome et du noyau atomique. Elle a trouvé des applications en chimie, en biologie et en thérapeutique. La curiethérapie est venue compléter les moyens de lutte contre le cancer déjà mis en œuvre: chirurgie et rayons X. En 1921, la Fondation Curie fut créée pour adjoindre des services thérapeutiques à l’Institut du radium. Irène Curie travaillait depuis longtemps dans le laboratoire de sa mère quand elle épousa, en 1926, Frédéric Joliot.Dans le laboratoire de Marie Curie, et peu de temps avant sa mort, en 1934, Irène et Frédéric Joliot-Curie découvrirent la radioactivité artificielle dont les développements et les applications seront sans bornes.Irène et Frédéric Joliot-Curie reçurent, en 1935, le prix Nobel de chimie, et c’est au moment où leurs laboratoires de l’Institut du radium et du Collège de France, puis ceux du Commissariat à l’énergie atomique, avaient pris une extension considérable qu’une mort prématurée est venue mettre un terme à leur œuvre.Découverte de la radioactivitéMarie Curie a donné le nom de radioactivité à la propriété que possèdent certains éléments de se transformer spontanément en émettant de l’énergie. Ce phénomène avait été découvert, en 1896, par Henri Becquerel avec l’uranium. En 1898, Pierre et Marie Curie réussirent à extraire de minerais d’uranium deux éléments beaucoup plus actifs que celui-ci: le polonium et le radium.Travaux préliminairesHenri Becquerel avait observé que certains minerais contenant de l’uranium avaient la propriété d’émettre un rayonnement doué de caractères communs avec les rayons X, qui venaient d’être découverts par Rœntgen. Il s’était limité à prouver que les rayons uraniques n’étaient pas la conséquence d’une excitation due à une cause extérieure et à mettre en évidence quelques-unes de leurs propriétés: noircissement des plaques photographiques, décharge d’un électroscope (ionisation de l’air).À cette époque, Pierre Curie avait déjà acquis une haute réputation par ses travaux sur la physique des cristaux et le magnétisme. Son nom reste attaché au point de Curie , température à laquelle les corps ferromagnétiques deviennent paramagnétiques. Il avait épousé, en 1895, Marie Sklodowska, qui, après avoir commencé ses études en Pologne, les avait poursuivies, depuis 1891, à la Sorbonne. Elle avait entrepris des recherches de chimie et devait bientôt avoir à choisir un sujet pour sa thèse de doctorat ès sciences. Elle aborda alors l’étude des rayons uraniques.Les travaux antérieurs de Pierre Curie ne sont pas étrangers à ce choix. Il a, en effet, découvert la piézo-électricité en 1880, et en a imaginé l’application à la mesure de très faibles quantités d’électricité. Avec son frère Jacques, il a mis au point le matériel nécessaire à cette mesure et à son application aux courants d’ionisation (qui peuvent traverser les gaz soumis à un flux de rayons X ou de rayons uraniques): l’électromètre à quadrants et la chambre d’ionisation. Il a pressenti, en effet, que le rayonnement nouveau doit être analysé et mesuré avec précision si l’on veut identifier le phénomène qui lui donne naissance.C’est armée de ce matériel remarquable, qui sera utilisé tel quel pendant cinquante ans, que Marie Curie entreprend ses recherches. Grâce à lui, elle progressera très rapidement dans cette voie. Il lui suffit en effet d’une année pour passer du phénomène brut – observation de rayons émis par l’uranium et par le thorium – à la séparation du premier élément radioactif, le polonium, en juillet 1898, suivie de celle du radium à la fin de la même année.La découverte du polonium et du radiumLa méthode est très simple dans son principe: essayer d’abord de déceler un rayonnement à partir de nombreux minerais. Seuls les minerais d’uranium et de thorium possèdent la propriété d’émettre spontanément des rayons. Mais des résidus de pechblende, d’où l’uranium a été extrait industriellement, sont plus actifs que le minerai d’uranium. Il faut donc entreprendre de séparer chimiquement différents constituants du minerai et rechercher, dans les fractions obtenues, celle qui est la plus radioactive. Il faut ensuite reprendre cette fraction et la traiter à nouveau.Il s’avère bientôt que le travail sera épuisant, car les constituants les plus actifs n’existent, dans les minerais, qu’en quantités infimes, que seul leur rayonnement permet de suivre. De plus, les moyens chimiques atteignent vite leurs limites et il faut bientôt recourir aux précipitations fractionnées pour faire de nouveaux progrès.Cette méthode a été d’un emploi général dans tous les travaux qui ont conduit à l’identification de radioéléments, associée parfois à l’électrolyse ou à la vaporisation.À cette époque, l’identification d’un élément nouveau (de nombreux éléments rares avaient été découverts au cours du siècle) exigeait d’abord l’observation de raies nouvelles dans les spectres optiques. Mais ces spectres sont très complexes, et la répartition des raies n’y est pas, à première vue, systématique. Ce n’est que beaucoup plus tard que les raies optiques ont été classées et que les spectres de rayons X, dont l’aspect est plus simple, ont permis une identification facile des éléments où ils ont pris naissance. L’apparition de raies nouvelles signalait donc la présence d’un élément inconnu, sans apporter aucun renseignement sur ses caractéristiques.Les chimistes s’attachaient alors à purifier l’élément découvert, ou un de ses composés, et s’efforçaient de déterminer sa masse atomique. Cela nécessitait la préparation d’une quantité pondérable de matière pure, et c’est cette préoccupation qui a conduit Pierre et Marie Curie, au prix d’un travail exécuté dans des conditions misérables, à préparer une quantité suffisante de chlorure de radium. Une tonne de résidus de pechblende, offerte par le gouvernement autrichien, permit à Marie Curie de préparer quelques décigrammes de radium. Demarçay réussit à en faire le spectre d’étincelle, et Marie Curie attribua au radium, en 1902, une masse atomique de 225 à une unité près. La valeur définitivement admise est 226. Un inconfortable hangar de l’École de physique et chimie de Paris a été le cadre, devenu légendaire, de cette recherche.L’émission du rayonnement radioactif présentait un aspect mystérieux par la contradiction qu’il apportait au principe de Carnot. De l’énergie apparaissait dont l’origine était inconnue, d’où la première hypothèse formulée, celle de la transformation dans l’uranium d’un rayonnement non décelable provenant de l’espace. Cette hypothèse fut vite abandonnée et remplacée par celle, qui fut géniale, mais que le monde scientifique n’accepta pas tout de suite, d’une propriété nouvelle des atomes radioactifs.Toute la carrière de Pierre Curie s’était déroulée jusque-là dans des travaux de haute précision; aux principes fondamentaux de la physique, celui de Carnot en particulier, il en avait ajouté de nouveaux, concernant la symétrie. Il était donc essentiel, pour lui, d’éliminer toutes les causes extérieures qui auraient pu apporter au radioélément l’énergie qu’il émettait sous forme de rayonnement et de chaleur avant d’oser affirmer que cette énergie provenait de l’atome radioactif.Toutes ces preuves étant enfin réunies, Marie Curie soutint sa thèse de doctorat en 1903, et l’Académie suédoise des sciences attribua le prix Nobel de physique conjointement à Henri Becquerel et à Pierre et Marie Curie; une chaire à la Sorbonne fut créée pour Pierre Curie en 1903; après sa mort accidentelle, en 1906, sa femme lui succéda. Pierre Curie avait été élu à l’Académie des sciences en 1905. Marie Curie n’y fut pas admise: une majorité s’était opposée à l’élection d’une femme et lui préféra, en 1911, Édouard Branly. Peu après, Marie Curie reçut le prix Nobel de chimie, et c’est près de cinquante ans plus tard que son élève, Marguerite Perey, fut la première femme élue à l’Académie des sciences (en qualité de membre correspondant).Développement de la radioactivitéIdentification des radioéléments naturelsAinsi s’est poursuivi, dans une première voie, le développement de la radioactivité. Cette voie est celle de la recherche d’éléments radioactifs naturels. Les collaborateurs de Pierre et Marie Curie y contribuèrent: Gustave Bémont, associé au travail sur le radium; André Debierne, qui, en 1899, découvrit l’actinium; Marguerite Perey, la dernière, qui identifia le francium, en 1937.De nombreux savants étrangers ont apporté leur part de découvertes, et de nouveaux éléments furent identifiés: radiothorium, mésothorium, émanations de gaz radioactifs (dénommés plus tard radon, thoron, actinon), ionium, thorium X, actinium X; ensuite furent mis en évidence les constituants des dépôts actifs responsables de la radioactivité induite, nom d’abord donné à la propriété apparente de devenir radioactifs acquise par les corps mis en contact avec une émanation. Peu à peu, on établit entre eux des filiations, et les trois familles de radioéléments naturels se constituèrent, issues respectivement de l’uranium, du thorium et de l’actinium (celui-ci descendant de l’actino-uranium, qui a été, beaucoup plus tard, identifié à l’isotope 235 de l’uranium), lorsqu’on eut compris la filiation qui fait apparaître successivement différents radioéléments à partir de ces trois éléments de très longue vie, jusqu’à aboutir à un plomb stable. Accessoirement, on a trouvé une faible radioactivité dans le potassium ainsi que dans le rubidium. On savait en outre que certains radioéléments émettent de l’hélium.Dans son Traité de radioactivité , Marie Curie donne, en 1910, un tableau de l’ensemble des radioéléments connus; ceux qui présentent quelques analogies sont placés sur la même ligne (tabl. 1).Pour des raisons scientifiques, et parce que les radioéléments utilisés en thérapeutique étaient préparés et vendus par l’industrie, il fut nécessaire de mesurer les quantités de ceux-ci contenues dans une source, le contrôle ne pouvant se faire facilement que par des comparaisons d’intensités de rayonnement.Marie Curie consacra de longs efforts à purifier et à peser une quantité d’environ 16 mg de chlorure de radium qui, placée dans une ampoule scellée, devint, en 1911, le premier des étalons de radium, dit «étalon Marie Curie», actuellement conservé à l’Institut du radium de Paris (appelé maintenant Institut Curie). L’unité de radioactivité fut fondée sur le nombre de désintégrations par seconde qui se produit dans une source. Elle a reçu le nom de curie (symbole Ci) et correspond à 3,7 憐 1010 désintégrations par seconde. La radioactivité de 1 g de radium est très voisine de 1 Ci.Radioactivité et théorie de l’atomeErnest Rutherford avait élaboré, en 1912, un modèle d’atome où des électrons gravitaient autour d’un noyau positif. En 1913, Niels Bohr y introduisit la notion de quantum d ’action , proposée par Max Planck en 1900, et donna à ce modèle une forme quasi définitive.Les connaissances acquises en radioactivité ont, dès lors, commandé l’évolution de la théorie atomique.L’idée de transmutation se précise quand plusieurs savants, dont E. Rutherford, sir Frederick Soddy et Kasimir Fajans, énoncent la «loi de changement de valence», d’où il résulte que certains radioéléments viennent occuper des places encore vides de la classification et que d’autres sont à la même place que des éléments stables connus. Dans une même case, les éléments se distinguent par leurs masses atomiques différentes; ainsi apparaît la notion d’isotopes (F. Soddy); Francis William Aston réussit à séparer des isotopes mélangés dans les éléments stables naturels. Seuls les éléments 43 et 85 n’existent pas dans la nature, ni ceux de numéro supérieur à 92. Ils apparaîtront plus tard, créés par transmutation artificielle, comme des éléments radioactifs.Dans son Traité de radioactivité de 1934, Marie Curie peut ainsi classer les radioéléments et présenter un tableau des trois familles de radioéléments lourds naturels (tabl. 2).Sous une forme actuelle, ce tableau serait complété par d’autres éléments [cf. RADIOACTIVITÉ]. Un certain nombre de symboles ne sont plus utilisés, mais remplacés par celui de l’isotope principal de même numéro, accompagné du nombre de masse (par exemple, actino-uranium Y: 23190Th).Radioactivité et théorie du noyau atomiqueD’abord simplement identifiés, les rayonnements 見, 廓 et 塚 (ces derniers de même nature que les rayons X) font l’objet de mesures d’intensité et d’énergie, et des relations énergétiques apparaissent entre les rayonnements accompagnant une même transmutation. On admet l’hypothèse que les noyaux stables (ou ceux qui sont radioactifs, avant leur transmutation) possèdent une énergie interne, que la loi de la relativité d’Einstein a identifiée à une partie de leur masse. Dans le bilan des masses correspondant à une transmutation, une très légère perte correspond à l’énergie du rayonnement. Ces notions, prévues par les théoriciens, se trouvèrent éclairées en 1929, lorsque, dans le laboratoire de Marie Curie, Salomon Rosenblum, utilisant des sources d’une qualité exceptionnelle préparées par Marie Curie, découvrit la structure fine des rayons 見. Dans un champ magnétique, ces rayons suivent une trajectoire dont la courbure dépend de leur énergie cinétique et permet de mesurer celle-ci. Par analogie avec la spectroscopie optique, on avait distingué différentes raies 見, caractéristiques des transmutations. Dès 1929, au moyen d’une technique très améliorée, Salomon Rosenblum a montré que chaque raie intense est accompagnée de raies voisines plus faibles.Cela s’accordait avec la théorie de Gamow, qui supposait que des particules 見 circulent à l’intérieur du noyau sur différentes orbites, ayant chacune une énergie propre, comme les électrons planétaires à l’extérieur du noyau, selon le modèle atomique de Bohr-Rutherford. Dans les deux cas, on associe divers nombres quantiques aux orbites. La spectroscopie nucléaire s’édifia ainsi, comme celle de l’atome avait été construite à partir des spectres optiques et des spectres de rayons X.Transmutations artificielles, radioactivité artificielleLes progrès effectués dans la connaissance du noyau atomique furent ainsi toujours liés à l’observation des transmutations radioactives, qui fournirent en outre, avant l’invention des grands accélérateurs, des particules de haute énergie capables de pénétrer dans les noyaux et d’y apporter des perturbations. Ainsi E. Rutherford, dès 1919, en bombardant de l’azote avec des particules 見, avait obtenu la première transmutation artificielle, dont le résultat est un isotope stable de l’oxygène, accompagné de l’émission d’un proton:En 1932, mettant en évidence l’émission de protons par des éléments soumis à l’action de particules 見, Irène et Frédéric Joliot-Curie firent un pas important vers la découverte expérimentale du neutron dont l’existence, prévue théoriquement, fut établie par sir James Chadwick.En 1934, disposant de sources de polonium extrêmement intenses dans le laboratoire de Marie Curie, Irène et Frédéric Joliot-Curie réussirent à provoquer à leur tour des transmutations dont les éléments résultants sont radioactifs. Cette découverte de la radioactivité artificielle, récompensée par le prix Nobel de chimie, en 1935, ouvrit la voie à la création de plusieurs centaines d’isotopes radioactifs de tous les éléments connus.Dans cette voie, Irène et Frédéric Joliot-Curie poursuivirent une brillante carrière. Frédéric Joliot-Curie fut nommé, en 1937, professeur au Collège de France. Avec Irène Joliot-Curie, qui travaillait toujours dans le laboratoire de l’Institut du radium, dirigé par André Debierne depuis 1934, puis par elle-même, il apporta une importante contribution à l’étude de la fission, découverte, en 1938, par Otto Hahn et Fritz Strassmann, et sut prévoir la possibilité de réactions en chaîne.En effet, des brevets déposés par Frédéric Joliot-Curie, avec Hans Halban, Lew Kowarsky et Francis Perrin, établirent, dès 1939, les conditions de fonctionnement et de régulation d’un réacteur à uranium tel qu’il sera réalisé, en 1942, par Enrico Fermi. Ayant prévu l’utilisation de l’eau lourde comme ralentisseur des neutrons, F. Joliot-Curie en constitua un stock, qu’il fit transporter clandestinement en Angleterre, en 1940. La bataille de l’eau lourde est un épisode célèbre de la lutte engagée, pendant la guerre de 1939-1945, pour l’utilisation de l’énergie nucléaire.En 1945, Frédéric Joliot-Curie devint directeur général du Centre national de la recherche scientifique, puis commissaire à l’énergie atomique, avant de prendre en charge, en 1956, à la mort d’Irène Joliot-Curie, la direction de l’Institut du radium et la chaire de radioactivité à la Sorbonne.Réactions nucléaires, fission, fusionAinsi s’édifia ce qu’on a appelé, au début, la chimie nucléaire. Comme en chimie, on peut établir la formule de réactions où l’on fait un bilan des masses, des charges et des énergies échangées, en même temps que des règles sont établies concernant les nombres quantiques associés aux noyaux et aux particules.La réaction:représente l’action de particules 見 sur l’aluminium, avec laquelle Irène et Frédéric Joliot-Curie ont obtenu le premier radioélément artificiel, isotope de masse 30 du phosphore, qui se désintègre ensuite avec émission d’un positon:Irène et Frédéric Joliot-Curie identifièrent, par ses propriétés chimiques, l’élément formé.Le neutron, dépourvu de charge, pénètre facilement dans les noyaux qu’il rencontre et permet de découvrir un nouveau mode de transmutation: la fission. Un noyau lourd absorbant un neutron peut devenir un édifice instable, qui se sépare en deux atomes de masse moyenne en libérant une quantité d’énergie énorme.Frédéric Joliot-Curie a montré que la fission est accompagnée de l’émission de neutrons qui peuvent produire d’autres fissions, c’est-à-dire des réactions en chaîne (soit lentes dans les réacteurs, soit explosives dans les bombes).Inversement, pour des éléments légers, l’énergie augmente avec la masse, et la fusion de deux noyaux peut donner naissance à un noyau plus lourd avec émission d’énergie.Physique des particulesLes transmutations naturelles ou artificielles et les réactions nucléaires sont accompagnées de l’émission de particules possédant une grande énergie; et l’étude de ces particules s’est développée parallèlement à la radioactivité. Le besoin de sources plus intenses et de particules plus énergiques a déterminé le développement d’accélérateurs qui ont permis d’atteindre des énergies beaucoup plus grandes.Dans son laboratoire du Collège de France, Frédéric Joliot-Curie entreprit, en 1938, la construction du premier cyclotron européen.Premières applications de la radioactivitéL’énergie atomiqueEn 1939, Frédéric Joliot-Curie et ses collabo-rateurs prévoient la possibilité de créer des réactions de fission en chaîne et déposent des brevets décrivant les piles atomiques. Dès la création du Commissariat à l’énergie atomique, Frédéric Joliot-Curie fit réaliser la première pile française, Zoé , qui divergea en 1948.Utilisation des radioéléments en chimieLes rayonnements qui caractérisent chaque radioélément permettent de les doser, même dans un mélange ou dans un composé. Ce rôle de traceur a déjà été utilisé avec les radioéléments naturels pour suivre leur évolution (c’est ainsi qu’ont été guidées les recherches tendant à les isoler), et pour suivre des éléments inactifs ayant des propriétés chimiques voisines (entraîneurs).En 1953, Irène et Frédéric Joliot-Curie proposèrent une méthode très sensible d’analyse, en irradiant, au moyen de particules d’énergie convenable, des corps contenant des éléments difficilement décelables. Le choix des conditions d’irradiation permet de transformer des atomes stables en radioéléments, puis d’identifier et de doser ceux-ci en observant leur rayonnement. Les premières applications de cette méthode furent le dosage du carbone dans les aciers par Irène Joliot-Curie, en 1953, des expertises toxicologiques et l’étude du métabolisme du sodium par Frédéric Joliot-Curie en 1955.Utilisation des radioéléments en biologieL’un des modes d’utilisation découle des applications à la chimie. Il a permis d’étudier les fonctions des cellules et de nombreux organes; en particulier, au moyen de l’autohistoradiographie . Dès 1904, Pierre Curie, Bouchard et Balthazar avaient impressionné des plaques photographiques en y déposant des organes d’animaux qui avaient inhalé du radon. Les résultats ne furent pas nets, le parcours des rayons 廓 et 塚 du radon étant trop long.En 1924, à l’Institut du radium, A. Lacassagne et J. Lattès-Ferrier ont obtenu des images très détaillées de coupes histologiques, faites dans des organes d’animaux auxquels ils avaient injecté du polonium. Par comparaison avec l’observation au microscope, on peut observer la localisation du radioélément jusque dans les organites des cellules.Cette méthode a été largement développée, lorsque le tritium (3H), dont le rayonnement 廓 est très peu pénétrant, a pu être utilisé pour marquer les molécules organiques. Le métabolisme de l’ADN a été, en grande partie, étudié au moyen d’autohistoradiographies de cellules, où de la thymidine tritiée avait été incorporée. En outre, l’action des rayonnements sur les cellules a amené à découvrir des lois de leur développement. Marie Curie, avec A. Lacassagne et Fernand Holweck, a consacré d’importants travaux à ces problèmes.Dès 1938, Frédéric Joliot-Curie adjoignit à son laboratoire de synthèse atomique un laboratoire de biologie. En 1944, avec A. Lacassagne, il mit en évidence l’action cancérogène des neutrons et, en collaboration avec R. Courrier, Alain Horeau et P. Süe, il étudia le comportement, dans la thyroïde, de la thyroxine marquée par 131I.Utilisation thérapeutique des radioélémentsL’action biologique des rayonnements des radioéléments présente des analogies avec celle des rayons X. Pierre et Marie Curie ont été parmi les premiers à s’y intéresser, et l’utilisation des radioéléments pour le traitement du cancer s’est bientôt imposée à leur esprit. Il en est résulté la création, en 1909, de l’Institut du radium, où l’université de Paris et l’Institut Pasteur se sont associés pour fonder deux laboratoires voisins de recherche en radioactivité, l’un de physique et chimie sous la direction de Marie Curie, l’autre de biologie dirigé par le docteur Claudius Regaud. La construction en fut achevée en 1914. Marie Curie y installa, pendant la guerre, une école d’infirmières radiologistes, où, avec sa fille Irène, elle forma le personnel nécessaire aux postes radiologiques de l’armée, au développement desquels elles se dévouèrent pendant quatre ans. Les laboratoires de l’Institut du radium commencèrent à fonctionner dès la fin de la guerre et, en 1921, leur furent adjoints les services thérapeutiques de la Fondation Curie, créée au moyen d’une donation privée. La Fondation Curie n’a pas cessé de se développer depuis lors (l’ensemble constitue maintenant l’Institut Curie).L’élaboration des plans des laboratoires de physique nucléaire d’Orsay a été dirigée par Irène Joliot-Curie, et les premières installations y ont fonctionné peu avant sa mort, en 1956. Leur extension était déjà importante lorsque Frédéric Joliot-Curie disparut, à son tour, en 1958. Plusieurs accélérateurs y fonctionnent et de nombreuses personnes y travaillent.Parallèlement à l’emploi des rayons X, l’action des rayons pénétrants du radium a été utilisée, dès 1903, pour traiter les tumeurs cancéreuses. Cette technique, désignée depuis 1910 sous le nom de curiethérapie, utilise le radium ou le radon, soit sous forme d’aiguilles que l’on peut implanter dans l’organe à traiter, soit sous forme de sources intenses placées à une certaine distance du malade (télécuriethérapie).Après la découverte de la radioactivité artificielle, des radioéléments nouveaux ont pu être utilisés, en particulier le cobalt 60 qui fournit des rayons très pénétrants capables d’atteindre des organes profonds.D’autres moyens thérapeutiques ont été fournis par les radioéléments, naturels d’abord, puis artificiels, ceux-ci permettant des utilisations très variées. L’un de ces moyens consiste à faire absorber au malade, ou à lui injecter, un radioélément capable de se localiser électivement dans un organe et de s’y maintenir un certain temps. L’organe subit alors une irradiation localisée. Le thorium X et le mésothorium, qui se fixent dans les os, ont été les premiers employés. Parmi les éléments artificiels, l’iode 131 agit spécifiquement sur la thyroïde.Comme en chimie et en biologie, on peut utiliser un élément stable mélangé avec une faible quantité d’un de ses isotopes radioactifs et en étudier le métabolisme, en suivant son cheminement dans le corps par l’observation de son rayonnement. On peut ainsi contrôler le fonctionnement de certains organes par la manière dont s’y comporte un composé marqué. Les scanners ont constitué un progrès très important de ces méthodes.Mais, comme tous les rayonnements ionisants, ceux des radioéléments, reçus en trop grande quantité, ont des effets néfastes. Localement, ils peuvent produire des nécroses et, s’ils ont atteint une partie importante du corps, la plus grave des affections qu’ils peuvent provoquer est la leucémie. Marie Curie et sa fille Irène en ont été, parmi tant d’autres, les victimes.
Encyclopédie Universelle. 2012.